• Joann Sfar : Daech, «régiment de pirates qui n'a rien d'un état» !

    L'auteur du Chat du Rabbin a réagi aussitôt sur Instagram après les attentats perpétrés hier soir à Paris. Pour Le Figaro il exprime sa colère.

    LE FIGARO. - Vous êtes un commentateur régulier de l'actualité. Quel est votre sentiment après cette série d'attentats terroristes au cœur de Paris?

    Joann SFAR. - Je pense que tout le pays est K.O. debout. Après les attentats contre Charlie Hebdo le 7 janvier dernier, j'avais entamé la rédaction d'un journal de bord. J'ai mis un an à passer à autre chose. Et puis boum! La triste ironie, c'est que l'atelier dans lequel je travaille avec quelques amis dessinateurs se situe en plein cœur du quartier visé par les terroristes. Cela fait longtemps que je le répète, la situation actuelle rappelle ce qu'a vécu l'Algérie avec le G.I.A. il y a vingt ans. Au début, «les Barbus nous faisaient rire» me racontait un ami dessinateur. Et puis il y a eu 200 000 morts…

    Avez-vous eu peur hier soir?

    Je suis trop ému pour avoir une vision claire de ce qui s'est passé hier soir à Paris. Depuis un an, je me suis rapproché d'une association à Nice qui s'occupe de réinsérer des jeunes qu'on attrape alors qu'ils veulent passer en Syrie. On en rattrape une trentaine par mois. Ces jeunes, une fois récupérés, on les oblige à voir un psychologue une heure par semaine. Et on déclare sur leur fiche qu'ils sont «en voie de déradicalisation.» Moi, je dis: une heure chez le psy, ça ne suffit pas!

    Comprenez-vous ce qui s'est passé?

    En réalité, je pense qu'on ne comprend pas ce qui se passe dans la tête de ces jeunes djihadistes français. Les imams traditionnels ne comprennent pas non plus. Je me souviens que Marjane Satrapi m'avait dit, à l'époque de Persepolis, en évoquant la révolution iranienne: «Il suffit d'une centaine de personnes pour prendre une ville moderne.» Je crois qu'elle a raison. La réalité, c'est que des enfants de notre pays nous ont déclaré la guerre. Et ça va bien évidemment profiter au FN. Ça me donne envie de vomir, quand je pense aux conséquences. À force de ménager les extrémismes, on fait le nid de la violence la plus barbare. Cela fait deux fois cette année que le monde entier nous regarde, tourne ses yeux vers Paris.

    Que faut-il faire face à cette jeunesse radicalisée?

    Ils sont quelques centaines pas plus. Je pense que les mesures éducatives les concernant ne sont pas assez fermes. Et ça, je maintiens que c'est un discours de gauche. Le pire, c'est que ces jeunes gens, on les connaît. Au-delà de ça, les deux attentats du 7 janvier et du 13 novembre interrogent quelque chose de plus profond, qui remonte au fondement même de notre laïcité. Si l'islam traditionnel est tout à fait compatible avec la société française, je crois que notre devoir est avant tout de ne pas en rabattre face à Daech. Je crois qu'on n'a pas su réagir face à une religion qui s'offusque de voir des amoureux s'embrasser librement dans la rue. Nous sommes en guerre, mais il s'agit en fait d'une guerre civile. Il y a des incidents dans toutes les écoles de France. Et il règne un grand désarroi de la part de ceux qui nous gouvernent. Il faut essayer de comprendre pourquoi l'islam radical peut faire tellement d'effet à des jeunes aujourd'hui. Combien étaient-ils pour faire un tel massacre hier à Paris? Sept ou huit.

    Que retenez-vous de ce carnage?

    Ce que je retiens de ce carnage, c'est qu'à force de ne pas vouloir reprendre en main cette jeunesse, on se prépare au pire. Les jeunes qu'on attrape n'ont finalement droit qu'à une fiche de renseignement mise à jour aux RG, et une heure de psy par semaine. Pourtant, tous les signaux tragiques étaient déjà là. Ces jeunes qui partent en Syrie et qui versent dans le radicalisme religieux, on est au courant. Simplement, on le sait, on le note, et on ne fait rien. Moi je ne vois pas de différence entre le nazisme des années 1930 et Daech aujourd'hui. En réalité, ce qui rend fou Daech, c'est notre mode de vie.

    Pourquoi ?

    À Paris, les jeunes citoyens français aiment la musique, l'ivresse, la joie. Cette liberté, ça leur fait peur. Les gens qui sont morts ce 13 novembre étaient dehors pour vivre, boire, et chanter. Et parce qu'on est heureux, ils nous ont frappés en plein cœur! On aime la vie. Depuis très longtemps, nos filles, nos femmes et nos mères sont libres de s'habiller comme elles veulent. Je le dis, je le répète. Le terrorisme n'est pas un ennemi. C'est un mode opératoire. Je voudrais tant que nous nous tenions debout pour défendre la liberté.

    Après l' attaque dans les locaux de la rédaction de Charlie Hebdo, Joann Sfar avait publié des carnets autobiographiques intitulés Si Dieu existe. Depuis les attentats du vendredi 13 novembre, le dessinateur de bande dessinée publie régulièrement des dessins sur son compte Instagram, à la fois drôles et émouvants. Il en a partagé de nouveaux, samedi.

    http://www.lefigaro.fr/culture/2015/11/15/03004-20151115ARTFIG00051-joann-sfar-daech-regiment-de-pirates-qui-n-a-rien-d-un-etat.php

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