• Papa, t’es là ? par Elsa Wolinski

    Papa, t’es là ? par Elsa Wolinski

    Les jours heureux ...

    Une semaine après la tuerie de Char­lie Hebdo qui a fait douze morts dont les dessi­na­teurs Honoré, Charb, Wolinski, Tignous, Cabu, Elsa Wolinski cherche son papa. Pour le maga­zine Elle, après une semaine char­gée en émotion, soute­nue par la France toute entière, l’au­teure a accepté de prendre sa plus belle plume pour écrire à celui qui manque terri­ble­ment à l’ap­pel aujourd’­hui : Georges Wolinski.

    “Papa, t’es là? Tu m’en­tends? Si t’es là, fais moi signe… Envoie moi un dessin”, commence la jeune femme. Pas fran­che­ment certaine, non plus, d’at­tendre un retour qui ne revien­dra jamais.

    « Papa, t’es là ? Tu m’entends ?
    Si t’es là, fais-moi signe... Envoie-moi un dessin.
    Bon, ben, tu m’entends pas, je m’en doutais un peu.
    Depuis que t’es mort, je me dis que tu dois enfin savoir si Dieu existe.
    Tout le monde t’imagine dans le ciel, avec des filles à poil, en train de te marrer. Mais, moi, je sais ce que tu fais. T’as dû demander un stylo pour te dessiner une table, des feuilles et une lampe. Et puis, maintenant, tu te dessines un double de maman pour qu’elle soit avec toi, même là-haut. Ah, et puis tu t’es fait un lit pour ta sieste. C’est sacré, la sieste chez Wolinski.
    Tu sais, je dors dans ton lit. J’ai d’ailleurs dû asperger ta chambre de mon parfum, ça sentait trop toi. C’est bizarre de me coucher à ta place. Mais je suis bien avec toi, là, dans tes draps. Maman t’avait offert un pantalon, t’as pas eu le temps de le mettre. Au fait, papa, j’en profite, est-ce que je peux te piquer tes pulls en cachemire ?
    Papa, le journal ELLE m’a demandé de t’écrire une lettre, mais j’ai pas le temps. Le téléphone n’arrête pas de sonner, et je dois m’occuper de maman. Tu sais, elle s’en sort bien. Elle est très belle, comme à son habitude. Mes sœurs sont là aussi. On se serre les coudes. Et puis, on a des rendez-vous bizarres au 36, quai des Orfèvres pour récupérer tes affaires. J’avais l’impression d’être dans nos fameux polars qu’on aimait tant tous les deux. Et puis, aux pompes funèbres, pour te choisir une urne et un bout de terrain. On n’y pense pas, mais c’est plus difficile de choisir une urne qu’une paire de chaussures Prada. J’aimerais bien garder l’urne avec moi, je te baladerais dans mon sac, je te mettrais à côté de mon lit.
    Papa, je me pose la question. Est-ce que t’as souffert ? Parce que c’est ça qui m’angoisse, tu sais. J’ai peur que t’aies eu peur, j’ai peur que t’aies eu mal. Mais ils ne t’ont touché qu’à la poitrine, alors, les bobos, on les voit pas.
    T’es beau, tu sais, avec ce drap blanc qui t’enveloppe. T’as même l’air heureux. J’ose pas trop m’approcher, tu m’en veux pas ?
    Je voudrais être capable de t’embrasser pour la dernière fois, mais j’y arrive pas. J’ai demandé à la dame de l’Institut médico-légal si on pouvait t’empailler mais elle m’a dit que c’était pas possible.

    Clôtu­rant son récit par cet haïku brutal, aussi violent que sa tris­tesse est incon­so­lable.

    Papa, on dirait que tu dors.
    Mais tu dors pas, t’es mort.
    Pour dehors, Wolinski est vivant.
    Mais, pour moi, t’es plus là.
    Elsa a perdu son papa. »

    Papa, t’es là ? par Elsa Wolinski

    Photo du bureau de Wolinski par sa fille.

    Papa, t’es là ? par Elsa Wolinski

    « Ténérife : quand les webcams permettent de nous faire rêver ...Pendant ce temps, une nouvelle venue sur la planète ... »

    Tags Tags : , , , ,
  • Commentaires

    1
    Samedi 17 Janvier 2015 à 09:03
    Un superbe texte si c'est le vrai....pas que je doute de toi mais plutôt des médias ... tout est bon
    2
    Samedi 17 Janvier 2015 à 09:08

    merci pour ce partage ! bonne journée

    3
    Samedi 17 Janvier 2015 à 09:15

    témoignage tres poignant que cette lettre écrite a son papa ,on ressent toute la tristesse de cette enfant meurtrie dans son coeur ,un coeur qui pleur la perte d'un etre cher , un pilier qui montre l'exemple du respect ,de la joie et la complicité ,tout cela detruit par des hommes peut scrupuleux qui ont reduit a neant en un instant toute une famille qui ne demander qu'a vivre tout simplement ,comment peut on agir ainsi ? c'est trop injuste !! de tout coeur je soutien toute les familles victimes de ces indignes actes d'horreurs ! courage ! 

    4
    Samedi 17 Janvier 2015 à 10:41

    Quel beau témoignage poignant

    Bonne journée

    5
    Samedi 17 Janvier 2015 à 11:16

    Oui un témoignage très poignant d'un coeur meurtri . La tristesse restera encore avec nous tous pendant un bon moment ! . Tempête de grêle , neige fondue au pays basque donc un temps à rester chez soi , bonne journée Annick , bises , cool

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :