A force d'accumuler les déficits, les régimes de retraite complémentaire des salariés du privé risquent de trouer leurs bas de laine. Les réserves de l'Arrco (où cotisent cadres et non-cadres) pourraient en effet être épuisées en 2024 ou 2025. Ce serait dès 2018 pour l'Agirc (où cotisent les cadres).
Que faire ? Les partenaires sociaux, qui pilotent ensemble ces régimes, se retrouvent ce mardi après-midi pour en discuter. Les négociations doivent s'étaler sur quatre mois : syndicats et patronat se sont donné jusqu'à juin pour parvenir à un accord. Rappelons que ce sont eux qui décident à l'Agirc-Arrco, pas le gouvernement. Et que l'enjeu est de taille : ces régimes versent en moyenne un quart de la pension des non-cadres et la moitié de celle des cadres.
Quelle est la situation financière de ces régimes ?
Comme il semble déjà loin, le temps où Agirc et Arrco enchaînaient les excédents. Depuis 2009, c'est l'inverse : chaque année, ces régimes dépensent plus qu'ils ne gagnent. Les pensions qu'ils versent aux retraités sont supérieures aux cotisations que leur versent les actifs. En 2013, il a manqué 4,4 milliards pour chatouiller l'équilibre. Pour 2014, plus de 5 milliards manqueraient à l'appel.
Quel est le risque si rien n'est fait ?
L'Arrco disposait fin 2013 de 55,4 milliards d'euros de réserves financières, l'Agirc de 9 milliards. Elles leur permettent pour l'instant de combler les déficits mais elles sont menacées d'épuisement à force d'être ponctionnées chaque année. Dès 2018, on estime que, si rien n'est fait, l'Agirc, qui ne peut emprunter, ne pourra plus verser l'intégralité des pensions qu'elle doit : une fois ses réserves réduites à néant, elle ne pourrait en effet verser en pensions que ce qu'elle reçoit en cotisations. La même situation guette l'Arrco dans dix ans.
Ceci conduirait alors à une baisse des pensions complémentaires de plus de 10 % dans ces régimes. Il est toutefois peu probable que les partenaires sociaux laissent la situation dégénérer à ce point : rappelons qu'ils se sont à maintes reprises entendus pour décider de mesures d'économies, même très impopulaires. Et qu'ils feront probablement tout pour éviter que les pouvoirs publics ne les accusent de laxisme et ne leur confisquent la gestion des régimes.
D'où proviennent ces déficits ?
L'arrivée des baby-boomers à l'âge de la retraite et l'allongement de l'espérance de vie boostent le montant de pensions à verser. Selon le Conseil d'orientation des retraites, il y avait en 2013 0,6 pensionné pour un cotisant à l'Arrco, ce serait 0,9 en 2040... Cette situation démographique avait été anticipée, des mesures d'économies avaient été décidées dans les années 1990 et 2000, mais la mauvaise situation économique des dernières années a de nouveau assombri les perspectives : qui dit faible croissance et chômage dit moins de cotisations...
Les mesures actées en mars 2013 n'étaient-elles pas suffisantes ?
En 2013, à l'issu du précédent cycle de négociations, syndicats et patronat s'étaient entendus sur une hausse des cotisations et une désindexation des pensions complémentaires - une revalorisation d'un point inférieure à l'inflation de 2013 à 2015. Mais déjà, il était clair que ces mesures ne suffisaient pas et qu'il faudrait se revoir vite.
Ce n'est pas tout. La désindexation des pensions rapporte beaucoup moins que prévu. En cause : la très faible inflation et la "clause plancher" de l'accord, qui stipule que la revalorisation ne peut être négative. (Dans un rapport récent sur l'Agirc-Arrco, la Cour des comptes insiste d'ailleurs sur l'idée de rattraper dans les années à venir la perte subie par les régimes à cause de cette clause). La décision d'élargir les possibilités de départ anticipé pour ceux qui ont commencé à travailler tôt, prise en 2012, mine aussi les comptes de l'Agirc-Arrco.
Qui va payer ?
Il y a fort à parier que chacun devra contribuer aux efforts : les salariés, les employeurs, les retraités. Reste à savoir qui sera le plus mis à contribution et quels seront les leviers précis actionnés.
Sera-t-il toujours possible de toucher sa complémentaire sans abattement dès l'âge légal ?
Actuellement, si vous êtes salarié du privé, vous pouvez toucher vos pensions complémentaires sans abattement si vous obtenez votre retraite de base à taux plein. Dès 60 à 62 ans (selon votre génération) dans la plupart des cas, voire avant en cas de retraite anticipée. Cette possibilité pourrait être remise en cause : se pose en effet la question d'appliquer des abattements temporaires ou viagers à ceux qui souhaitent toucher leurs complémentaires avant 65 ou 67 ans, même s'ils ont le bon quota de trimestres.La question de reculer purement et simplement les bornes d'âge de la retraite complémentaire resurgira aussi.
Quelles sont les principales autres idées sur le tapis ?
- Une nouvelle hausse des cotisations complémentaires. Elle serait subie par les salariés et les entreprises.
- Une poursuite de la désindexation des pensions. Voire un gel en 2016. Ce sont ici les retraités (actuels, mais aussi futurs) qui verraient leur pouvoir d'achat diminuer. Autre option ; reporter la date de revalorisation des pensions du 1er avril au 1er octobre, comme au régime général.
- Des règles de réversion moins avantageuses. Il pourrait s'agir de relever à 60 ans l'âge minimum pour toucher une réversion (pension touchée à la mort du conjoint) sans abattement à l'Arrco, de diminuer le taux de la réversion (donc leurs montants) ou encore de proratiser ces pensions en fonction de la durée du mariage même si l'assuré ne s'est marié qu'une fois. La possibilité d'une réversion "à la carte" a aussi été évoquée (détails ici).
- Une hausse du "prix d'achat" des points Agirc-Arrco. Cela reviendrait à cotiser autant pour des droits à pension moindres, ce serait défavorable uniquement aux futurs retraités.
- Une nouvelle cotisation basée sur les rémunérations soumises au forfait social, comme l'intéressement, la participation, les abondements PEE, ou Perco. Elle serait réglée par l'employeur.
- Une extension de l'AGFF à la tranche C de l'Agirc. En clair : les cadres à salaire très élevé cotiseraient davantage mais pourraient en échange liquider toute leur retraite complémentaire sans abattement dès l'âge légal.
Des réformes structurelles sont-elles aussi au menu ?
Oui. Les partenaires sociaux devront se prononcer sur l'opportunité d'une fusion de l'Agirc et de l'Arrco. La mesure apporterait une bouffée d'air à l'Agirc grâce à la mise en commun des réserves des régimes. Celles-ci ne seraient alors épuisées qu'en 2023. Fixation d'objectifs, mécanismes d'ajustements automatiques, périodicité des négociations, etc. : la question du mode de pilotage des régimes sur le long terme sera aussi étudiée.
N' oublions pas que ce débat touche les moins jeunes comme les jeunes !